Attention, ce n’est pas une blague. Et si c’en était une, elle ne serait pas drôle. Le 13 décembre, Christophe Castaner s’est rendu dans le Finistère (cliquer), accompagnée par sa grande amie Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qu’on ne présente pas ici . Le déplacement s’inscrivait dans le cadre d’une convention signée en toute simplicité par le ministère de l’Intérieur – l’État, donc, l’intérêt public, donc – et la FNSEA. On en apprend tous les jours.
Que venait faire le ministre? Installer une cellule – quel joli nom – de la gendarmerie nationale appelée à lutter contre l’agribashing. Si. Rappelons que la FNSEA – ne jamais oublier qu’elle ne représente, via les élections aux chambres d’Agriculture, que 25% des paysans de France – a inventé ce terme (cliquer) pour encore grappiller subsides et soutiens de l’appareil d’État. Il faut avouer que cela marche. L’idée est qu’une coalition de vilains mène une entreprise de dénigrement systématique des paysans.
La cellule gendarmique porte le nom souverain de Demeter, déesse grecque des moissons et, au passage, nom d’une marque prestigieuse de l’agriculture biodynamique qu’exècre la FNSEA. Elle aura vocation à traquer, partout en France, les marques d’hostilité à l’encontre de…De quoi, d’ailleurs? De la FNSEA, du modèle agricole, de l’élevage concentrationnaire, de l’omniprésence des pesticides? On ne le saura pas, car l’objectif est évidemment de faire peur à tout le monde.
Dans les textes officiels du ministère, on trouve des phrases prodigieuses (cliquer ici). L’édito du ministre commence ainsi par cette phrase d’anthologie : «Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes». Précisons à ce stade que c’est pure foutaise, toute révérence gardée à la personne de ce cher Castaner. Nul en France, pas même la police ou la gendarmerie, n’est capable de prouver par des faits qu’un «phénomène grandit». On ne sait pas de quoi on parle, on ne dispose d’aucun chiffre, ni même d’un nombre de plaintes en hausse. Du vent.
Mais cela n’empêche pas la politique, cette politique-là du moins. Dans un mélange extravagant, Castaner définit le périmètre de la cellule Demeter en y inscrivant les vols, les cambriolages, les dégradations diverses, les installations de «gens du voyage» sur des terres agricoles, les actions anti-fourrure, anti-chasse, les tournages de vidéos «clandestines». Cela serait déjà effarant, mais le ministre va plus loin encore en visant «des actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques».
Y a-t-il besoin d’une traduction? Les actions symboliques, c’est NOUS, les Coquelicots. Comme seule la gendarmerie et la FNSEA disposent de la définition du «dénigrement», il n’y a aucun doute que notre mouvement, constamment non-violent, est dans le viseur. On cherche à disqualifier, puis à réprimer la critique de l’agriculture industrielle, qui tue les hommes, les bêtes, les plantes.
Comme il n’est pas encore interdit de se moquer, notons que le même document policier évoqué plus haut détruit sans s’en rendre compte son pauvre échafaudage. Énonçant ses propres statistiques, Castaner livre quelques chiffres censés appuyer son propos. En 2019, il y aurait eu «14.498 faits enregistrés» au «préjudice du monde agricole». Un toutes les deux heures ! Ce chiffre «terrible» a été aussitôt repris par les bons amis médiatiques de M.Castaner, mais il faut chausser ses lunettes pour comprendre la manipulation.
Les «faits» en question couvrent les cambriolages, les vols – ceux avec violence ont chuté de…31,4% -, les vols de voitures, le vol de gros matériel agricole, etc. Sur la base de 440.000 «exploitations agricoles», les chiffres précis paraissent simplement loufoques : 314 tracteurs volés! 24 vols avec violence! 657 voitures dérobées! Moi qui ai grandi en Seine-Saint-Denis, en partie dans la cité de Montfermeil Les Bosquets, je ne peux constater qu’une chose: la plupart des paysans n’ont jamais croisé le moindre vilain. En revanche, ils disparaissent un à un, par la grâce d’une politique plébiscitée par la FNSEA.
Comment conclure? On verra, certes, mais ne nous trompons pas: c’est grave. La cellule Demeter, selon les mots même du ministre, devra permettre, avant tout, «d’améliorer [la] coopération avec le monde agricole et de recueillir des renseignements». Le (gros) mot est lâché. Renseignement. Sans sombrer dans une parano inutile, ce mot signifie, dans l’univers policier, les filatures, les écoutes téléphoniques, voire les infiltrations. On tâchera de s’en souvenir, mais sans aucun doute, nous voila en face d’une nouvelle inquiétude.
Fabrice Nicolino, président de l’association Nous voulons des coquelicots