La décision vient de tomber, comme un coup de gourdin : ce sera entre 5 et 10 mètres (cliquer ici). Ridicules jusqu’au bout, nos belles autorités «imposent» donc une distance dérisoire d’épandage des pesticides par rapport aux habitations. C’est évidemment une pure folie, qui révolte au plus profond. Nos gouvernants préfèrent donc faire plaisir à la FNSEA et à l’industrie agrochimique.
Le ministère de la Transition écologique publie dans le même temps les résultats de la consultation publique sur ces mêmes distances, qui s’est déroulée du 9 septembre au 4 octobre 2019. Première évidence: les maîtres du lieu ont planqué jusqu’au dernier moment (cliquer ici) le bilan de cette consultation, qui a recueilli 53.674 contributions. C’est un record national.
Cela ne pouvait pas durer, il fallait rendre compte. Et le ministère s’est résolu à le faire (cliquer ici) en prenant quelques précautions qui font rire jaune. Mais avant cela, lisons ensemble le document. Il commence par un gros mensonge (en gras dans le texte), misant sur le fait que beaucoup n’iront pas plus loin: «De façon générale, l’ensemble des contributions illustre l’existence au sein de la population de positions très contrastées sur la question de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de la mise en place de zones de non-traitement aux abords des habitations».
On tente, dans cette même introduction, d’opposer ceux –«nombreux sont les participants»– qui refusent les pesticides, et ceux –«une partie importante des contributeurs» – qui les défendent. Évidemment, il s’agit d’un procédé qui vise à masquer l’évidence: la société demande la fin du système et seule une petite minorité le défend encore.
On n’est pas obligés d’approuver, mais en réalité, au détour des phrases, c’est le texte officiel lui-même qui rétablit la vérité. Notons, dans le désordre des pages intérieures «Une majorité de contributeurs se prononçant pour une augmentation des distances réglementaires», «Pour un grand nombre de contributeurs, la question excède la seule considération de la distance», «Les répondants s’inquiètent également des risques liés aux “perturbateurs endocriniens”, aux produits “mutagènes et reprotoxiques”, aux “nano-particules” et aux problèmes génétiques. Certains se préoccupent des risques encore “peu étudiés” liés à un “effet cocktail” des différents produits», «Le terme “poison” revient très souvent dans les contributions», «Les riverains, dont certains témoignent en tant qu’agriculteurs ou issus de famille d’agriculteurs, s’inquiètent pour leur santé: une très large majorité demande des distances réglementaires supérieures voire très supérieures (plus de 150 mètres) à celles proposées, notamment en raison de la crainte liée à la volatilité des produits», «À noter que beaucoup de témoignages sont issus de riverains de vignes et de cultures hautes telles que les noyers ou pommiers», «Pour de très nombreux contributeurs, la dangerosité et la toxicité des produits phytosanitaires n’est plus à démontrer», «Pour toutes ces raisons, un grand nombre de participants souhaitent l’interdiction pure et simple de l’ensemble des traitements chimiques employés dans l’agriculture».
Mais ce n’est pas tout. Rusé, pour ne pas dire retors, le texte officiel emploie des formules comme «De nombreux contributeurs se prononçant contre l’arrêté considèrent qu’un durcissement de la réglementation est un non-sens». Le lecteur pressé lira «de nombreux contributeurs», mais celui qui prend son temps comprendra que l’on ne parle que de ceux qui refusent la moindre distance d’épandage. Si 10 personnes sont contre toute distance et que 7 parlent de non-sens, alors en effet, «De nombreux contributeurs se prononçant contre l’arrêté considèrent qu’un durcissement de la réglementation est un non-sens». Rebelote avec la saisissante formule: «La très grande majorité des agriculteurs se prononçant contre l’arrêté partage ce sentiment de dénigrement systématique de leur activité».
Vous lirez à la suite de cet article un extrait extraordinaire du texte officiel, qui fait chaud au cœur. Monte en France le sentiment qu’il faut repenser l’agriculture dans sa totalité. Contrairement à ce que prétendent les lobbies, la FNSEA et l’industrie agrochimique, nous ne sommes évidemment pas contre les paysans. Nous condamnons une pratique criminelle, et pour le reste, oui, clamons-le, nous avons un immense besoin de paysans. Nous en voulons des millions, pratiquant une agriculture sans pesticides, économe en eau, respectueuse de la biodiversité, seule susceptible de nous aider à faire face au dérèglement climatique.
Dernier commentaire sur le texte: il ment épouvantablement par omission. Car il ne cite opportunément aucun chiffre. Il eût été d’une simplicité biblique de réaliser des courbes, d’indiquer des pourcentages, de truffer le document de camemberts permettant de comparer le nombre des adversaires des pesticides et les autres. Mais alors, le château de cartes se serait écroulé, et la supercherie aurait été dévoilée. Dites, amis tripatouilleurs, ça vous embêterait de publier des chiffres?
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Un extrait très réjouissant
Les contributeurs attendant la suppression des pesticides ou la mise en place de politiques ambitieuses pour réduire leur utilisation soutiennent en grande majorité la transition de l’agriculture traditionnelle vers une agriculture durable, intégrant les pratiques dites raisonnées et bio (biocontrôle, permaculture, agroécologie, agroforesterie, bio maraîchage, biodynamique, etc.) et la valorisation des pratiques liées (semis sous couvert direct, utilisations de produits naturels, pratiques sylvo-pastorales etc.)
Ces nouveaux modes d’agriculture sont considérés par les contributeurs qui y sont favorables comme une garantie de pratiques « responsables et respectueuses ». En parallèle, il est également rappelé par les contributeurs favorables à la mutation de l’agriculture qu’il existe une « forte demande » des consommateurs qui traduit une mutation profonde de la société qui devrait inciter les agriculteurs au passage à une agriculture bio sans risque financier majeur « tout en maintenant une compétitivité ». Cette « révolution profonde et urgente » doit répondre à grande échelle au défi de protection des populations et de la biodiversité : « tout en luttant contre le problème sanitaire des pesticides, on lutte contre l’appauvrissement des sols ».
Elle passe selon les contributeurs par plusieurs leviers : •La question de l’appui, principalement financier et technique, à ce mode d’agriculture apparaît comme un préalable majeur pour une grande majorité de contributeurs. La volonté politique, aussi bien au niveau national qu’européen via la Politique Agricole Commune (PAC), est perçue comme un levier clé pour un changement de paradigme et un encouragement vers de nouvelles conversions.
Il est ainsi souhaité un meilleur système d’aides à l’investissement et à la conversion en agriculture biologique, considérée comme « une pratique d’avenir ». Un appui humain est également attendu à travers des réseaux locaux « de conseillers agricoles capables d’épauler et de guider les agriculteurs » sur le modèle des Groupes d’Étude et de Développement Agricole (GEDA) mis en place par certaines Chambres d’Agriculture. •Le financement de ces politiques pourrait passer par une taxation sur les produits phytosanitaires ou les productions dites conventionnelles, par « un plan national de crowdfunding » ou par la mise en place de « contrats à impact social qui tiendraient compte des futures économies de santé améliorée, de pollutions évitées, etc. ».
En parallèle, des facilitations fiscales, comme« une suppression de la TVA » sur les productions biologiques pourraient également être un soutien majeur à la transition de l’agriculture. L’appui à la recherche de la part des pouvoirs publics, « avec l’appui de l’ingénierie agronome », est également évoqué par plusieurs contributeurs comme un levier clé d’un déploiement généralisé de l’agriculture durable (variétés, techniques, pratiques, etc.). Une collecte et un partage des expériences et bonnes pratiques apparaissent également pertinents pour soutenir massivement la transition agricole.
La question de la formation, notamment des jeunes agriculteurs dès le lycée agricole, apparaît également comme un sujet central pour de nombreux contributeurs. Les formations aujourd’hui dispensées sont ainsi considérées comme « trop tournées sur des modes de production intensifsdes années 70 et 80 ». Ces nouvelles formations pourraient permettre à l’avenir d’accorder aux agriculteurs maîtrisant les pratiques de l’agriculture durable des « permis de cultiver ». Il est par ailleurs rappelé que l’adaptation des formations doit aussi concerner les ouvriers agricoles qui sont souvent les principaux utilisateurs des produits phytosanitaires.
La mise en place des zones de non-traitement (ZNT) sont perçues par de nombreux contributeurs comme de potentiels lieux pour des « expérimentations de nouvelles pratiques », pas nécessairement bio, mais proposant d’ores et déjà de nouvelles pratiques plus respectueuses des enjeux sanitaires et environnementaux. Il est ainsi souhaité que ces espaces, qui pourraient bénéficier d’« aides spécifiques », puissent faire l’objet de modes de gestion et d’exploitation innovants (implications d’agriculteurs bio, de riverains ou d’associations de défense de l’environnement, etc.) et bénéficier d’un label spécifique pour leur fonction de « territoire de transition ».
Des mesures de protection spécifiques pour les parcelles conventionnelles qui jouxtent souvent les parcelles biologiques sont également souhaitées, ces dernières ayant « le droit de ne pas subir de traitements non consentis ». L’instauration de distances minimales d’épandage de produits phytosanitaires « à proximité des productions certifiés agriculture biologique » apparaît ainsi nécessaire sur des distances a minima équivalentes à celles prévues par le projet d’arrêté vis-à-vis des lieux d’habitation.