La machine s’est emballée. Elle est en train de caler. A cause d’un virus -le plus petit micro-organisme vivant!- Homo sapiens, qui pouvait encore il y peu faire le tour de la planète, est cantonné, quand il est chanceux, aux seules limites de son jardin.
Et justement, le temps n’est-il pas venu d’envisager les choses autrement? Immobiles, sur notre balcon, ou près d’un parterre, écoutons le silence. Les rues paisibles qui chuchotent, le bruit du vent dans les branches, le bourdonnement d’une abeille se frayant un chemin dans le lierre, les appels guillerets de la mésange charbonnière. En quelques jours, Dame Nature reprend déjà ses droits. Les canaux à Venise sont redevenus translucides, on y voit quelques poissons. Bientôt, l’atmosphère de nos villes sera lavée du nuage grisâtre des gaz d’échappement.
Une ombre au tableau demeure. Les pesticides seront toujours épandus, plus que jamais en cette période préparative aux semailles. La couleur orange effacera bientôt le vert printanier, malgré notre combat, malgré le ralentissement que nous impose le coronavirus. Cette agriculture intensive et mortifère continue, silencieusement, de faire ses victimes.
Avec cette pandémie, nous sommes soucieux de notre santé, de celle de nos proches. Les repères sautent pour en révéler d’autres, la saveur des petites choses fondamentales se rappelle à nous comme le souvenir intuitif d’une comptine; la sacro-sainte économie, chronométrée, efficace, pragmatique, dévorante, devient subitement secondaire. Et c’est tant mieux! Tout à coup, nous sommes contraints de revenir à l’essentiel.
Prendre soin de nos très proches. Cuisiner. Lire enfin. Ecrire peut-être. Redécouvrir l’enfance et le jardinage. Planter les graines de l’avenir. Pétrir le temps qui passe.
C’est le moment de retrouver une liberté dans la contrainte. Liberté de penser, liberté de rêver, liberté d’espérer. Ce monde qui ralentit est propice aux idées, aux réflexions. L’heure est venue pour beaucoup, nous en sommes sûrs, de dresser ce constat: nous ne pouvons plus continuer comme «avant». Profitons de cette pause inédite pour envisager un autre avenir, à notre échelle, en espérant que le Monde ouvrira toute entière la grande porte de l’après. À croire notre Président, «cette période nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions seront balayées, seront remises en cause» (discours du 16 mars). Chiche?
Pendant un an et demi, pris dans une valse à mille temps, les Coquelicots ont tourbillonné, semant leurs graines d’espoir, pavoisant de rouge les frontons des mairies, dans une liesse authentique. Nous nous retrouverons, nous nous toucherons de nouveau, nous chanterons, nous rirons. Nous serons encore plus forts. Pour l’heure, observons, émerveillons-nous de ce monde qui nous entoure. À notre échelle, étalon de notre humanité.